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Loi Sapin, contrôle et sanction

15/04/2016 - Médias

Les faits de corruption et de trafic d’influence sont déjà sanctionnés lourdement par notre Droit. Le projet de Loi Sapin II propose aux entreprises de s’autocontrôler… ou d’être sanctionnées, et ce même en l’absence de tout acte de corruption ou de trafic d’influence. Il nous est ainsi proposé de creuser un tunnel sous la manche judiciaire… et de changer de paradigme.

Les entreprises ont d’ores et déjà mis en place des systèmes de contrôle internes afin de lutter contre les délits de corruption et de trafic d’influence. Outre une satisfaction éthique interne, elles n’en retirent aucun avantage judiciaire si ce n’est celui d’espérer prévenir et de ce fait empêcher que ne soient commis en leur sein des actes illicites.

Pour être condamnées, il fallait encore qu’elles aient commis une infraction et que cela soit reconnu par un Juge… ce temps risque d’être révolu.

En effet, pour les plus importantes d’entre elles qui appartiennent à un groupe dont l’effectif dépasse 500 salariés et qui réalisent un chiffre d’affaires consolidé de plus de 100 millions d’euros, elles pourront maintenant voir leur système audité, être enjointes d’en changer et même être sanctionnées au paiement d’une somme pouvant aller jusqu’à 1 million d’euros pour avoir, non pas commis les délits, mais simplement mis en place un système de contrôle considéré comme étant de « qualité » insuffisante.

Il reviendra à un « service à compétence nationale placé auprès du ministre de la Justice et du ministre chargé du budget », dirigé par un Magistrat hors hiérarchie désigné par Décret du Président de la République, de prévenir et de détecter les systèmes de qualité insuffisante.

L’indépendance de ce service vis-à-vis du pouvoir exécutif laisse songeur…

La loi fixe la longue liste des mesures à mettre en place de manière obligatoire par les entreprises à savoir : un code de conduite, un dispositif d’alerte, une cartographie des risques, des évaluations des clients et fournisseurs de premier rang, des contrôles comptables internes ou externes, de la formation, un régime de sanctions disciplinaires.

Le service précité pourra ainsi, de sa propre initiative ou à la demande du ministre de la Justice et celui du Budget, réaliser des contrôles sur la mise en place de ces règles.

Sur quelles bases ces choix de contrôles seront déterminés par ces « happy few » ? La loi ne le dit pas…

La société contrôlée et ses dirigeants pourront, après avoir pu présenter leurs observations (ouf !), se voir adresser un « avertissement » par ce service, mais aussi se voir être renvoyés devant la commission des sanctions pour que leurs soient infligées des injonctions d’adapter leurs procédures, ou stade ultime, des sanctions.

Les « manquements » qui auraient été de la sorte constatés et dont aucune définition n’est donnée, ce qui en fait un grief bien imprécis, pourront donner lieu à des sanctions de 200.000 euros pour les personnes physiques et 1 Millions d’euros pour les personnes morales.

Les recours contre ces décisions seront des recours de pleine juridiction et seront de ce fait traités par le Juge administratif et non le Juge judiciaire…

Le juge judiciaire n’est pourtant pas complètement en reste, puisqu’il pourra de son côté compter sur l’introduction d’une peine pénale complémentaire frappant les personnes morales les obligeant à mettre en place un programme de mise en conformité, sous le contrôle du service, dont les frais qu’il aura engagés à cet effet seront payés par… la société condamnée.

On aurait pu déduire de cet arsenal législatif pour le moins contraignant, que les personnes morales ayant mis en place un système considéré comme de qualité bénéficieraient en retour d’une sorte de récompense dans l’hypothèse dans laquelle un délit serait quand même commis en leur sein et qui aurait pu aller, soyons fou, jusqu’à une irresponsabilité pénale, ou une appréciation clémente d’une éventuelle sanction. Rien de cela dans la Loi.

Pourtant, quel reproche faire à une personne morale dont le système aurait été contrôlé et jugé de qualité par le service de contrôle lorsqu’une infraction serait quand même commise en son sein ? Le service aurait-il alors de son côté une responsabilité ?

Si le projet de Loi voulait faire de l’entreprise et de ses dirigeants des partenaires dans la nécessaire lutte contre la corruption, ce qui pourrait se défendre, il en fait à ce stade malheureusement plus les cibles de nouvelles sanctions administratives aux contours bien flous… dommage de miser plus sur la peur non pas du Gendarme, mais du Juge administratif, que sur un partenariat encadré.