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Réforme du droit des obligations : 3 questions au Professeur Thibierge

15/05/2018 - Médias

Avocat chez Altana, Louis Thibierge est Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l’Université Aix-Marseille et Membre du Centre de Droit Economique de l’Université Aix-Marseille.

Le 21 avril dernier a été publiée au Journal officiel la loi 2018-287 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. On connaît désormais la teneur de notre nouveau droit des obligations.

De quoi s’agit-il ?

D’une loi ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016. Le cheminement a été il est vrai tortueux.

Le 16 février 2015, une loi habilitait le Gouvernement, dans les conditions de l’article 38 de la Constitution, « à prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires permettant de moderniser, de simplifier, d’améliorer la lisibilité, de renforcer l’accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme ».

Le 10 février 2016, l’ordonnance n° 2016-131 portant réforme du droit des obligations était publiée. Elle contenait notre nouveau droit des obligations, qui emportait à la fois consécration de solutions prétoriennes et affirmation de solutions de rupture.

L’ordonnance devait, pour acquérir valeur législative, être ratifiée par le Parlement. L’élaboration de la loi de ratification a été l’occasion de clarifier certains points demeurés obscurs et de rectifier quelques erreurs de rédaction. De manière plus surprenante, certains parlementaires se sont saisi du processus législatif pour tenter d’opérer des modifications de fond, prenant parfois le contrepied du texte de l’ordonnance.

Députés et sénateurs ont, au fil des mois, opéré un rapprochement de leurs positions, les projets adoptés en décembre 2017 par chacune des assemblées étant encore assez éloignés. Une commission mixte paritaire a été nécessaire pour aplanir les dernières difficultés (on songe notamment à la révision judiciaire pour imprévision, qui a cristallisé les oppositions).

Finalement, le Palais Bourbon a adopté le texte le 22 mars, le Luxembourg le 11 avril. La richesse du travail en commission a démontré s’il en était besoin que, foin d’une ratification sèche, le Parlement n’est point chambre d’enregistrement.

Quels sont les principales innovations ?

Il est bien difficile de prétendre à l’exhaustivité. Les changements opérés par la loi de ratification sont au nombre de 25. On s’en tiendra donc aux plus importants.

Le contrat d’adhésion est redéfini. Alors que l’article 1110 ancien (si l’on ose dire, celui de 2016) faisait du contrat d’adhésion celui « dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties », le nouveau texte voit dans le contrat d’adhésion celui « qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ». Exit le critère des conditions générales. Exit également la proposition des députés de cantonner le contrat d’adhésion aux contrats de masse. La définition nouvelle du contrat d’adhésion paraît encore bien large.

On se rassurera peut-être en observant que le champ de l’article 1171 est considérablement restreint. Dans un contrat d’adhésion, seule peut être désormais réputée non-écrite la clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif. Le seul fait d’appartenir à la famille des contrats d’adhésion ne fait donc plus peser un risque de neutralisation sur toutes les clauses.

La révision judiciaire pour imprévision est maintenue, en dépit de l’opposition du Sénat, mais les opérations sur titres et contrats financiers échappent désormais, même à titre supplétif, aux dispositions de l’article 1195 du Code civil.

Le champ de la réticence dolosive est opportunément restreint. L’ambiguïté résultant de la comparaison des articles 1112-1 (devoir d’information précontractuelle) et 1137 (dol) est surmontée. Que l’on prenne le problème sous l’angle de l’information précontractuelle ou du dol, la jurisprudence Baldus est sauvée : aucune information n’est due sur l’estimation de la valeur de la prestation. On a le droit de faire de bonnes affaires.

Le domaine de la violence par abus de dépendance est considérablement réduit. Si la proposition sénatoriale de la cantonner à la dépendance économique a été écartée, la restriction est tangible. Seule pourra désormais être prise en considération la dépendance à l’égard du cocontractant (article 1143). La dépendance se distingue ainsi de la vulnérabilité.

Concernant les personnes morales, on notera la neutralisation de l’article 1145 sur leur capacité, texte désormais privé de tout intérêt significatif puisqu’il ne fait que renvoyer aux textes spéciaux, mais surtout la désactivation de l’article 1161 sur la double représentation. La prohibition de la double représentation est désormais limitée aux personnes physiques.

On relèvera également la prise en compte de la bonne foi du débiteur en matière d’exécution forcée en nature (article 1221). Désormais, seul le débiteur de bonne foi pourra prétendre échapper à l’exécution forcée eu égard à la disproportion existant entre le coût d’exécution et l’intérêt pour le créancier.

Le régime de la réduction de prix est précisé (article 1223), sans que l’on saisisse nécessairement si cette sanction demeure bien unilatérale, dès lors qu’il est question, soit d’un « accord » du débiteur, soit d’une décision judiciaire.

Sont encore à pointer des modifications, pour l’essentiel dans un but de clarification, relatives au sort des sûretés en cas de cession, à la déchéance du terme, à la renonciation pendente conditione, aux restitutions dues par le mineur non-émancipé ou à la monnaie de paiement.

Faut-il connaître trois droits ?

Oui. La loi du 20 avril 2018 distingue trois droits applicables :

  • Pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, seul le droit des contrats issu du Code de 1804 devrait s’appliquer.
  • Pour les contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et le 1er octobre 2018, c’est l’ordonnance du 10 février 2016 qui s’applique.
  • Pour les contrats conclus après le 1er octobre 2018, c’est le droit issu de la loi de ratification qui s’applique.

Il conviendra donc d’agir avec la plus grande des prudences.

D’autant que différents facteurs de complication s’ajoutent à ce rythme ternaire :

  • L’article 16 de la loi du 20 avril qualifie certaines modifications d’interprétatives, ce qui emporte qu’elles soient rétroactives. Seraient donc applicables aux contrats conclus depuis le 1er octobre 2016 les modifications apportées aux articles :
    • 1112 (indemnisation du préjudice résultant d’une faute dans les négotiations) ;
    • 1143 (abus de dépendance) ;
    • 1216-3 (cession de contrat) ;
    • 1217 (liste des sanctions de l’inexécution) ;
    • 1221 (exécution forcée en nature) ;
    • 1304-4 (renonciation à condition suspensive) ;
    • 1305-5 (déchéance du terme) ;
  • Ordre public et effets légaux du contrat : la jurisprudence a à plusieurs reprises appliqué à un contrat antérieur des dispositions issues d’une loi postérieure, au motif que celle-ci serait d’ordre public, ou qu’elle concernerait les effets légaux du contrat, lesquels échappent à la volonté des parties. L’article 16 de la loi de ratification modifie les dispositions transitoires de l’ordonnance de 2016, celle-ci prévoyant désormais qu’elle ne s’applique pas aux contrats antérieurs au 1er octobre 2016, fût-ce pour des motifs d’ordre public ou d’effets légaux du contrat ;
  • Liberté du juge : même enserrée par les dispositions de la loi de ratification, la liberté du juge demeure grande. L’empêchera-t-on de poursuivre avec sa récente pratique consistant à appliquer les textes anciens à la lumière des textes nouveaux, ce qui revient peu ou prou à appliquer immédiatement la loi nouvelle à des contrats en cours ?

Au final, la loi de ratification consolide l’édifice et offre, sinon une totale certitude, du moins des raisons de se réjouir de l’affirmation d’un droit des contrats efficace, cohérent et conquérant.